Publié le 06/06/2023

Cuisiner la mer en conscience

Labels, saisonnalité, stock, techniques de pêche : difficile de ne pas s'emmêler dans les filets de la pêche durable. Au Château de Beaulieu, auréolé de deux étoiles et d’une étoile verte au guide Michelin, le chef Christophe Dufossé conjugue cuisine gastronomique et respect des ressources marines.

Cuisiner la mer en conscience

Couteau de la Côte d’Opale : Ambiance « Terre & Mer », Émulsion à la Bière des Hauts de France, Girolles en Pickles, passe-pierres iodés, échalotes de Busnes confites.
 

Labels, saisonnalité, stock, techniques de pêche : difficile de ne pas s'emmêler dans les filets de la pêche durable. Au Château de Beaulieu, auréolé de deux étoiles et d’une étoile verte au guide Michelin, le chef Christophe Dufossé conjugue cuisine gastronomique et respect des ressources marines.

À quel moment avez-vous compris l’importance de vous plonger dans le sujet de la pêche durable ? Quel a été le déclic pour vous ? 


Christophe Dufossé: Je suis né à Calais, toute mon enfance a été bercée par les embruns de la Côte d’Opale. À 50 ans, après des expériences variées en France et dans le Monde, j’ai souhaité revenir aux choses essentielles de la vie, et me rapprocher de ma région d’origine. Au Château de Beaulieu où je suis installé depuis bientôt deux ans, nous cuisinons 90% de produits de notre terroir des Hauts-de-France. Cela crée un lien forcément très fort avec les produits de la Côte d’Opale.


 

Où trouver les bonnes informations sur l’état des stocks de chaque poisson ? 


CD : Je me renseigne au cas par cas, en me formant sur le terrain et en écoutant les anciens qui ont une expérience précieuse. Parfois, les poissons sont abondants, on dit qu’ils sont en pleine saison, mais ils ne sont en fait pas à maturité pour être pêchés. La capitainerie dans chaque port indique la bonne période pour pêcher chaque espèce. Un poisson qui a été bousculé par la nature et qui n’est pas de saison ne donne pas satisfaction dans l’assiette. On le remarque particulièrement sur les poissons plats : un turbotin pêché en période de reproduction ne se tiendra pas à la cuisson. Ce n’est donc pas à ce moment que l’on choisira de le consommer. C’est finalement la mer qui dicte le menu et non l’inverse. 
 

Y-a-t-il des espèces que vous avez supprimé de votre carte ou pour lesquelles vous avez baissé vos achats en prenant conscience de la raréfaction du stock ? 


CD : Nous n’utilisons actuellement ni saumon, ni crevette rose, ni anguille, ni sole. Pour cette dernière, c’est parce que le stock au large de Boulogne est critique et que je ne souhaite pas me fournir ailleurs. Ce n’est pas évident car je suis moi-même attaché au souvenir gustatif d’une bonne sole meunière, recette phare de notre gastronomie. Alors, on adapte notre carte, on accepte la gymnastique et on fait preuve de souplesse dans le menu. Pourquoi par exemple proposer du homard bleu en hiver, alors qu’il vient du Canada ? Pour les crevettes, par exemple, elles font rarement leur apparition sur nos cartes, et quand c’est le cas, nous travaillons uniquement des crevettes péchées dans les eaux du Nord. Comme pour le saumon, il était inconcevable de choisir des espèces d’élevages ou étrangères. Il faut avoir des convictions et une confiance mutuelle avec les clients. Les gens ne cherchent plus l’exotisme. 


 

Lesquelles privilégiez-vous dans vos menus ? Avez-vous un exemple de recette que vous servez et qui magnifie une espèce méconnue de poisson ? 


CD : J’ai une affection toute particulière pour les couteaux de la Côte d’Opale…quand c’est la saison ! Je les utilise dans un terre-mer avec une émulsion à la bière Ch’ti.  Quand ils viennent de Belgique ou qu’ils ne sont pas issus de la pêche à pied, je m’en passe. J’aime aussi la Saint-Jacques du Boulonnais et le rouget grondin-perlon, typique de notre région, uniquement pêché par des petits bateaux en mer du Nord. On peut également travailler des poissons moins nobles et dont les chairs sont fragiles, comme le maquereau ou le merlu. Je prépare ce dernier en deux cuissons : d’abord en saumure pour raffermir les chairs, puis roulé dans une poudre de morilles et remonté en température au four, juste au moment du service. C’est là que l’on retrouve la quintessence du poisson.

Gauche: Noix de Saint-Jacques de nos côtes, Snackées, jus de Poulette Salsifis rôtis sur peau, noisettes torréfiées Topinambour en extraction
 

On parle beaucoup du “manger moins mais mieux” pour la viande, encore assez peu pour les ressources marines. Ça vous parle ? 


CD : Tout à fait ! Quand on confectionne un menu, on y intègre beaucoup plus de végétal : tant pour le bien-être que pour l’équilibre du menu. Au Château de Beaulieu, nous proposons des menus en trois, cinq ou sept temps, avec une place prépondérante pour le végétal. Les produits de la mer viennent par petites touches, en deux ou trois bouchées bien pensées.

Droite : Langoustines de La Côte d'Opale, carpaccio de radis du jardin, agrumes de nos serres
 

Votre équipe vous suit-elle facilement dans ce processus ? Les trouvez-vous suffisamment formés à la question de la saisonnalité et la préservation des ressources marines ? 

CD : Lorsque j’ai repris le Château de Beaulieu, j’ai écrit un livre blanc pour poser sur le papier les orientations du projet. Toutes les personnes que nous recrutons doivent être alignées avec ce qui est défini dans ce livre blanc. Je remarque que plusieurs collaborateurs s’intéressent à ma démarche et veulent par exemple venir avec moi faire la cueillette ou rencontrer les producteurs. L’autre jour, l’un de mes cuisiniers au poste de poisson est venu avec moi sur un bateau de pêche, c’était la première fois qu’il vivait ça ! 


 

L’étoile verte Michelin, c’est aussi la récompense de cette démarche globale ? La cerise sur le gâteau ? 

CD : Ce n’est qu’un début ! Il faut sensibiliser les clients qui ont été parfois mal habitués à retrouver toute l’année certains produits dits “nobles” dans des grands restaurants et surtout, garder les mains dans la matière et les pieds dans le terroir. Si chacun peut amener sa pierre à l’édifice à son niveau en utilisant sa notoriété pour faire le bien, on parviendra à faire changer les choses. Si on ne le fait pas nous, qui va le faire ? 

 

Interview par Laurène Petit

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