Publié le 01/03/2022

Remonter le cours de la Brenta

L’histoire de Venise ne se limite pas au mythe engendré par la plus célèbre des « îles-villes ». Elle s’est déployée, au-delà des eaux de la lagune, sur la terre ferme de la Vénétie entre le XVIe et XVIIIe siècle. En témoignent encore les majestueuses villas édifiées le long de la rivière Brenta.

Remonter le cours de la Brenta

La façade principale de la Villa Franceschi

L’histoire de Venise ne se limite pas au mythe engendré par la plus célèbre des « îles-villes ». Elle s’est déployée, au-delà des eaux de la lagune, sur la terre ferme de la Vénétie entre le XVIe et XVIIIe siècle. En témoignent encore les majestueuses villas édifiées le long de la rivière Brenta.

Depuis les quais des Zattere à Venise, on peut distinguer par temps clair l’embouchure de la Brenta. Il faut alors porter le regard vers l’ouest, en direction de Fusina, sur la terre ferme, et s’imaginer quelques siècles en arrière lorsque la noblesse vénitienne traversait cette partie de la Lagune pour rejoindre ses « résidences secondaires ». Communément appelées — en italien -« Ville Venete », ces riches demeures ont commencé à voir le jour au XVIe siècle, dès lors que les Vénitiens prirent le contrôle de ces territoires après être sortis vainqueurs d’affrontements contre les cités de Padoue, Vicence, Vérone… L’architecte Andrea Palladio, originaire de Vicence, va s’avérer l’une des figures majeures de cette dynamique architecturale, fort d’une bonne vingtaine de projets — les fameuses villas palladiennes — réalisés dans la région, mais plus encore sur l’influence qu’il a pu avoir dans cet aménagement territorial.
 

La Brenta à son embouchure dans la Lagune, à Fusina


Par commodité, les Vénitiens vont choisir d’implanter bon nombre de ces demeures d’apparat le long de la trentaine de kilomètres de la Brenta qui sépare la lagune à Padoue. Ils n’hésitèrent pas à commanditer de véritables palais à l’égal de leurs habitations insulaires afin d’affirmer leur puissance. « La Brenta est initialement un fleuve naturel qui prend sa source dans la province du Trentin, passe par Padoue et se jette dans l’Adriatique près de Chioggia. Mais pour des questions de navigabilité, un canal, le Naviglio de Brenta, a été construit, non sans l’aide de Leonard de Vinci, dans le lit d’un bras antique de la Brenta. Il démarre à Stra et rejoint la Lagune à Fusina. C’est en fait le long de ce cours d’eau que la plupart des villas vénitiennes ont été édifiées » explique la guide Silvia Vallerin, très experte dans l’histoire de ce territoire.

Première d’entre elles à rythmer la progression, la Villa Foscari a justement été dessinée en 1550 par Palladio pour les très puissants frères Nicolo et Alvise Foscari qui voulaient pouvoir regagner Venise rapidement. Étonnamment, ce sera la seule réalisation de l’architecte directement le long de la Brenta, très identifiable par le socle sur lequel elle repose et sa façade ouverte sur le canal à la manière d’un pronaos ionique. On ne sait encore aujourd’hui si elle porte son surnom de Malcontenta en raison des crues répétées de la Brenta qui inondèrent les terres alentour ou bien alors pour le fait qu’une certaine Elisabetta Dolfin, de la famille Foscari, y fut recluse pour expier ses infidélités.
 

Photo de gauche : La villa Foscari, unique réalisation le long de la Brenta de l’architecte Andrea Palladio
Photo de droite : Le Naviglio de Brenta, soit un bras canalisé sur 27 km du fleuve Brenta


Si le cheminement peut aujourd’hui au choix se faire sur l’eau — entre mars et octobre lorsque les écluses sont en fonctionnement — ou plus simplement par la route, les déplacements se faisaient autrefois uniquement par voie maritime à bord d’un burchiello. « Il s’agissait d’embarcations dotées d’une cabine en bois richement décorée et généralement réservées à la gent aisée. Un burchiello était propulsé par des rameurs lors de la traversée de la lagune, tiré par des chevaux le long de la Brenta, puis sur le canal Piovego pour qui voulait gagner Padoue » explique à nouveau Silvia. À l’époque, on va compter jusqu’à 150 villas dont la stature majestueuse ponctue le parcours. À travers le terme de « villa », il faut bien sûr entendre une habitation luxueuse, mais aussi un domaine agricole pourvu de terres cultivables et de bâtiments dédiés à cette exploitation.
 

Photo de gauche : Un salon de la Villa Franceschi
Photo de droite : La Villa Franceschi, devenu un établissement hôtelier Relais & Châteaux
L’une des chambres de la demeure principale de la Villa Franceschi


Il ne reste aujourd’hui qu’une soixantaine de ces réalisations ambitieuses parmi lesquelles la Villa Franceschi dont la famille Dal Corso se fait fort de maintenir le caractère d’antan à travers un établissement hôtelier de tout premier rang.

« La Villa Franceschi était au départ la résidence des orfèvres du Doge. Nous avons conservé intact le charme de la demeure historique avec une dizaine de chambres aménagées à l’aide d’un mobilier d’époque tandis que le bâtiment annexe, situé sur l’arrière, abrite des salons, la salle à manger du restaurant et plusieurs chambres au décor plus moderne » souligne Alessandro Dal Corso. L’adresse est de fait une base idéale, d’autant que l’hôtel dispose de ces propres embarcations, pour se lancer sur la Brenta dans un jeu de pistes à la découverte de ces édifices dont les plus réputés sont accessibles à la visite.
 

Photo de gauche : L’arrière de la Villa Franceschi ouverte sur le parc
Photo de droite : Dans la demeure historique, un salon d’apparat dispose encore de son mobilier d’époque


Aussi, on ne peut manquer de se rendre à la Villa Foscarini Rossi édifiée au XVIIe siècle et dont les fresques exécutées par Pietro Liberi sont de véritables curiosités. Propriétaire des lieux à partir des années 1990, la famille Rossi, chausseur émérite, y a également installé un Musée de la Chaussure à partir des très nombreuses collections de souliers — 1500 modèles — créées en collaboration avec des maisons de mode comme Dior, Céline, Yves Saint Laurent, Loewe…
 

Exposition de souliers du musée de la Chaussure à la Villa Foscarini Rossi
Le plafond peint par Tiepolo à la Villa Pisani
Photo de gauche : Cristina Rossi, petite-fille du chausseur Narciso Rossi, chargée de promouvoir les  activités culturelles de la villa Foscarini Rossi, dont le musée de la chaussure.
Photo de droite : Détail d’une fresque de Pietro Liberi à la Villa Foscarini Rossi


Quelques centaines de mètres auparavant, le regard n’aura pas manqué d’être happé par la présence plus qu’imposante de la Villa Pisani édifiée durant la première partie du XVIIIe siècle en l’honneur du Doge Alvise Pisani. Témoin de la démesure du projet, les 114 pièces du bâtiment font tout simplement référence au fait qu’il a été le 114e doge de Venise. C’est désormais un musée national qui abrite une très riche collection de mobiliers et œuvres d’art parmi lesquels un impressionnant plafond peint par Tiepolo pour la salle de bal.
 

L’impressionnante Villa Pisani depuis le parc et son miroir d’eau
Décors et statuaire flamboyants à la Villa Pisani, désormais labellisé Musée National.

 

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