Publié le 16/01/2025

La beauté du geste

La beauté du geste

Au Japon, la culture de l’omotenashi – l’attention accordée à chaque hôte– s’inscrit dans le moindre détail du service qui lui est proposé. En cuisine, au spa, en salle ou en chambre, chaque métier est chorégraphié. Ce ballet discret, qui conjugue précision et convivialité, offre une délicate expérience d’hospitalité.

MASSAGE ÉNERGÉTIQUE
Les gestes du shiatsu japonais se ressentent avant tout, sur soi et en soi, à travers les pressions, vibrations, frottements et étirements. Les doigts, paumes, coudes et parfois même les pieds du masseur œuvrent pour assouplir les muscles et libérer les tensions, avec un seul but : la circulation du qi, l’énergie de vie.

HABIT TRADITIONNEL
Il faut parfois des heures pour revêtir un kimono de cérémonie. Ce n’est toutefois pas le cas avec ceux que l’on porte au quotidien, par exemple pour travailler. Ce vêtement conditionne les mouvements. Les manches, ou sodetake, sont de longueur variable et doivent être retenues délicatement.


Gôra Kadan Hakone, Japon © Kazumasa Harada

PAUSE WAGASHI
Lors d’une cérémonie du thé, on déguste cette petite pâtisserie sucrée, avant de boire un matcha, dont l’amertume vient contrebalancer la douceur du gâteau–sa forme et sa couleur évoquant la saison du moment. Il est posé sur un kaishi (papier qui servira à s’essuyer le bout des doigts). En attendant, on tranche le gâteau de pâte de haricots au moyen d’un kuromoji, un fin couteau de bambou qui sert aussi de fourchette.


Gôra Kadan Hakone, Japon © Kazumasa Harada

PARCE QU’ILS RELÈVENT DE LA MAÎTRISE ABSOLUE DE L’INSTANT, LES GESTES DE L’HOSPITALITÉ SONT À LA FOIS DISCIPLINÉS ET HARMONIEUX.

ÉLOGE DE LA LENTEUR
C’est avec une concentration extrême, et à reculons, que les jardiniers passent le sunakakibō dans le fin gravier blanc des jardins secs japonais, comme ici, à l’hôtel Gôra Kadan de Hakone. Lentement, comme pour la pratique de la méditation zen, ils dessinent avec ce râteau très particulier des motifs d’ondes qui évoquent le mouvement de l’eau autour des roches et des mousses.


Gôra Kadan Hakone, Japon © Kazumasa Harada

FINE LAME
Au Japon, la découpe du poisson est un art qui nécessite des années d’apprentissage. Les techniques diffèrent selon le poisson, le crustacé ou le coquillage préparé. Elles peuvent en changer la texture et modifier le goût du plat. Le plaisir des hôtes dépendra de l’usage que le chef fait de ses couteaux, notamment le long yanagiba, et de leur compréhension de ce savoir-faire.


Gôra Kadan Hakone, Japon © Kazumasa Harada

UN SERVICE PLUS QUE PARFAIT
Personnification de l’hospitalité japonaise, la nakai-san a la responsabilité d’anticiper les besoins et les désirs des hôtes pendant leur séjour. Chaleureuse, elle est néanmoins si discrète que sa présence se réduit presque à une silhouette en kimono semblant glisser derrière ces parois en papier qu’on appelle shôji. Elle sert chaque repas avec élégance et retenue, vérifiant que chacun a ce qu’il lui faut.

Gôra Kadan Hakone, Japon © Kazumasa Harada

L’attention portée aux gestes et aux détails est présente dans les vingt propriétés situées au Japon. En voici un aperçu.

L’ARCHITECTURE MODERNE D’OTOWA ne doit pas induire le visiteur en erreur: dans ce restaurant familial et chaleureux, le père, Kazunori Otowa, cuisine main dans la main avec son fils aîné, Hajime, pendant que le cadet, So, et la fille, Kana, dirigent le service et l’entreprise. Dans un cadre épuré, le spectacle a lieu sur la table, où la cuisine d’inspiration française (le chef Otowa a fait ses armes auprès d’Alain Chapel) crée des assiettes comme des tableaux. Celles du dessert, notamment, sont signées Asuka Otowa, l’épouse de Hajime. D’une rare délicatesse, ces douceurs s’ornent de détails que dessine la jeune femme – tel un motif maki-e, à la poudre d’or, issu de l’art de la laque – et que l’on hésite (juste quelques secondes) à porter à sa bouche.
OTOWA RESTAURANT, Utsunomiya, Japon


OTOWA RESTAURANT, Utsunomiya, Japon © RYO HATA

HOKKAIDŌ, LA GRANDE ÎLE DU NORD DU JAPON, est souvent perçue comme une terra incognita pleine de surprises et de mystères. Dans les cuisines du lumineux restaurant Molière, le chef Hiroshi Nakamichi renoue à sa façon avec les savoirs ancestraux de ces territoires montagneux. Sa cuisine extrêmement précise, notamment dans les cuissons, se nourrit des productions locales, comme les douzaines de variétés de pommes de terre ou les pousses et les plantes que l’on ramasse dans la forêt depuis des siècles, en communion avec une nature nourricière. Obsédé par « le moment », il sert parfois des bouchées – par exemple, une minuscule tourte farcie d’une crème parfumée – qu’il faut saisir avec ses doigts et mettre en bouche dans un geste presque régressif.
MOLIÈRE, Sapporo, Japon


MOLIÈRE, Sapporo, Japon 

DANS LES ALPES JAPONAISES, À UNE VALLÉE DE NAGANO, se niche le restaurant de Masahiro Tanabe. Le fait qu’il soit installé dans un ancien kura, ces magnifiques entrepôts dans lesquels les familles conservaient leurs biens les plus précieux, est de bon augure. Effectivement, ici, la cuisine est chose sacrée. Ainsi, le bœuf et le saumon de Shinshu (ancien nom de la préfecture), comme les légumes locaux, sont préparés avec une quasi-déférence. Pour découper ces derniers, le chef utilise généralement un usuba, couteau rectangulaire qui permet tous les gestes, de la taille du daikon en lanières fines comme des feuilles (sen-giri), à la découpe en quartiers (kushigata-giri)… Des merveilles de précision. Itadakimasu !
HIKARIYA-NISHI, Matsumoto, Japon


HIKARIYA-NISHI, Matsumoto, Japon © Yosuke Ito

DANS UNE RUE DU CENTRE D’OSAKA, le restaurant La Bécasse affiche un décor chic et feutré, au sein duquel rien ne vient distraire l’attention portée à l’assiette. Dans ce temple de la gastronomie, on sert 12 couverts seulement, façon de dire que Yoshinori Shibuya entend soigner ses convives. D’ailleurs, il n’y a pas de menu à La Bécasse, on s’en remet au chef, qui propose un omakase (menu surprise). Lui, plutôt du genre taiseux, est tout à son travail d’orfèvre. On peut découvrir la facette créative de sa personnalité en le voyant, le matin, au marché. Pris dans son inspiration, il hume, caresse, rejette, inspecte, écoute aussi chaque légume, chaque poisson, pour ne sélectionner que les meilleurs. À 60 et quelques années et son restaurant ayant acquis une étoile au Guide Michelin, Yoshinori Shibuya se voit toujours comme un artisan, dont les gestes précis sont polis par le temps
LA BÉCASSE, Osaka, Japon


LA BÉCASSE, Osaka, Japon

DEPUIS CETTE RUE TRANQUILLE, au cœur de Kyoto, on remarque à peine l’entrée du ryokan Kanamean Nishitomiya. Une porte coulissante en bois, une allée étroite, une entrée où l’on se déchausse… et l’espace semble se démultiplier. Les sept chambres munies de tatamis sont réparties sur deux niveaux ; comme leurs salles de bains aux baignoires en cyprès japonais, elles ouvrent toutes sur des tsuboniwa, minuscules jardins intérieurs qui émaillent le bâtiment. Ces vues cadrées comme des estampes sont entretenues par des jardiniers gantés de blanc. Pour le dîner, les hôtes ont le choix entre une cuisine kaiseki ou kaname teppanyaki, étoilée au Guide Michelin, qui raconte une histoire de la région – et de saison – tout en ravissant les sens.
KANAMEAN NISHITOMIYA, Kyoto, Japon


KANAMEAN NISHITOMIYA, Kyoto, Japon © SaekoWakuda

EN SÉJOURNANT DANS CE RYOKAN DE LA CÔTE, au nord-ouest de Kyoto, on touche du doigt la tradition. Le village de Kinosaki Onsen, réputé pour ses sources chaudes, se visite en kimono informel (yukata), de bain en bain, en longeant la rivière. De retour dans le bâtiment en bois de l’hôtel, dont le style sukiya traditionnel s’inspire de celui des pavillons de thé, on a le privilège de dîner dans sa chambre. Assis sur les tatamis, on observe la maîtrise de chacun des gestes de l’hôtesse, au fil du service. Dans son kimono brodé, elle semble glisser autour de la table et fait apparaître avec grâce une succession de petits plats élégants dans une vaisselle que l’on dirait de poupée. Une fois le saké servi, elle s’éclipse sans qu’on le remarque.
NISHIMURAYA HONKAN, Toyooka, Japon


NISHIMURAYA HONKAN, Toyooka, Japon © Nishimuraya

 

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