Publié le 21/02/2023

Stéphane Buron,
un chef en quête de nature

Chef de l’emblématique restaurant Le Chabichou, à Courchevel 1850, Stéphane Buron milite aujourd’hui pour « une cuisine en parfaite harmonie avec la nature », avec une inclination pour l’univers des sous-bois. Une occasion pour l’interroger sur sa philosophie et sur sa cuisine.

Stéphane Buron,|un chef en quête de nature

Stéphane Buron à droite, avec son fils Antonin, second de cuisine

Chef de l’emblématique restaurant Le Chabichou, à Courchevel 1850, Stéphane Buron milite aujourd’hui pour « une cuisine en parfaite harmonie avec la nature », avec une inclination pour l’univers des sous-bois. Une occasion pour l’interroger sur sa philosophie et sur sa cuisine.

Christian Simenc : Le chef Michel Rochedy, disparu en 2021, a ouvert Le Chabichou en 1963. Vous l’avez secondé durant trois décennies, puis pris sa relève il y a cinq ans. Que retenez-vous de l’homme ?

Stéphane Buron : Quand vous passez 30 ans avec la même personne, vous adoptez tous ses défauts [rires]. M. Rochedy n’en avait pas beaucoup. Il était la rigueur dans la bonne humeur. Rigueur ne veut pas dire « strict » et bonne humeur pas « pétaudière ». La rigueur, parce que nous sommes dans l’excellence. La bonne humeur, car c’est mieux de travailler ainsi. M. Rochedy avait beaucoup d’humour, mais aussi une grande exigence, que ce soit sur la qualité des produits ou sur la propreté. La cuisine, par exemple, il l’a entièrement refaite en 1988. Lorsqu’on entre aujourd’hui dedans, on dirait qu’elle a à peine deux ans. M. Rochedy nous a appris à nous surpasser. Un jour, un chef a peint son portrait. Je l’ai toujours dans mon bureau. Je le regarde et il me regarde.


CS : Comment perpétuer son héritage tout en affirmant votre touche personnelle ?

SB : J’étais son second et nous avons créé nombre de recettes ensemble. Il y en a deux, toujours au menu, que j’ai adaptées à ma façon. D’abord, la salade de homard, avec une merveilleuse vinaigrette. Elle a été créée à la fin des années 1980. Le homard n’est plus présenté en rosace sur une salade et l’accompagnement, une vinaigrette de poireau aux truffes, est d’inspiration plus contemporaine. Idem avec sa recette de bar au caviar. M. Rochedy le faisait cuire à la vapeur sur des algues, puis retirait la peau pour la substituer par du caviar. Nous le faisons désormais confire en ballotine dans des feuilles d’algues Nori. Puis, mon fils Antonin achève une sauce au caviar en salle et peut, ainsi, raconter aux clients l’histoire de cette recette. C’est de la pure transmission : la recette vient de M. Rochedy, passe par moi et aujourd’hui, mon fils se charge de la touche finale.
 

 


CS : Quelles sont vos envies et vos rêves pour le Chabichou ?

SB : M. Rochedy était originaire de l’Ardèche, moi je viens de la Lorraine et des Vosges : on avait cette même culture de la basse montagne. Trois décennies à travailler ensemble « imprègnent », mais j’ai toujours respecté ses envies. Lorsque j’ai repris les rênes, en 2018, il fallait que j’imprime ma marque. Avec l’accord de M. Lavorel, le patron du Chabichou, j’ai commencé par opter pour une vaisselle qui me ressemble plus — on est passé du blanc au noir —, puis remanier la décoration du restaurant. Je voulais y intégrer davantage de bois, de végétal et de minéral, qu’on s’y sente à la montagne. Mon fils Romain, qui est ébéniste, a produit des sets de table en bois et des tabourets.

Les recettes, elles, n’ont cessé d’évoluer depuis cinq ans. L’été, nous ramassons ce que la nature nous donne, comme les myrtilles ou les bourgeons de sapin dans lesquels on fera mariner l’omble chevalier. J’introduis aussi de nouveaux ingrédients. Le Shio Koji, un produit de fermentation japonais, réveille les saint-jacques ou la betterave. Le vinaigre de cerisier apporte une petite touche d’acidité bienvenue au chevreuil. J’aime ajouter un parfum inhabituel, comme la poudre de fleur de cerisier. Dans les années 1980, pas un repas ne se finissait sans son citron givré. J’ai remis ce dessert au goût du jour avec une sélection d’agrumes givrés : citron, kumquat, sudachi, yuzu, limequat… On les sert en fin de repas dans une petite boîte que j’appelle « la cave à agrumes », fabriquée par mon fils Romain. J’essaye sans cesse d’améliorer l’expérience que l’on offre aux clients.
 

À gauche : Filet de chevreuil rôti au sautoir parfumé au genièvre, avec quelques racines, terrine à l’ancienne, jus de myrtilles sauvages. 
À droite : Carpaccio de saint-jacques marinées à l’huile d’agrumes, avec citron caviar, herbes et fleurs, sorbet carotte-mandarine.


CS : Peut-on innover ?

SB : Assurément  ! Je cherche aujourd’hui à accentuer un univers de sous-bois, tant d’un point de vue gustatif que visuel. Prenez le plat « La Feuille dans la feuille » : l’une est fabriquée par impression 3D avec de la pulpe de pomme de terre ; l’autre, ajourée, est faite avec du beaufort. Grâce à un joli effet d’optique, l’une se fond dans l’autre. Elles sont accompagnées d’une sauce Albufera dans laquelle j’ajoute une pointe d’« exotisme » : de la bergamote, qui me rappelle à la fois mes origines, Nancy et la Lorraine, ainsi que le Japon, un pays que j’adore. J’aime faire découvrir des mets parfumés. Le « bon » doit le disputer au « beau ». Pour servir « L’Artichaut de Mamie Odette », j’ai fait fabriquer des céramiques en forme de feuille d’artichaut. Le consommé de champignon, lui, est servi dans une tasse qui en a la forme. On y est vraiment !


CS : Depuis quelques années, la prise de conscience en faveur du développement durable s’accroît. Quelles sont vos actions en la matière ?

SB : Malheureusement, à Courchevel 1850, il n’y a rien. On doit tout faire monter, surtout l’hiver. On essaye néanmoins d’avoir des fournisseurs aux alentours proches, à fortiori bio ou raisonnés. Ils sont principalement en Savoie, en Isère et dans la Drôme. Auparavant, mon boucher était à Lyon. Je me fournis aujourd’hui chez Stéphane Milleret, de la Boucherie des Halles, à Albertville. On gagne 120 kilomètres. J’achète les légumes de la famille Allemoz, à Albertville, mais je peux aussi commander ceux d’Éric Roy, maraîcher en Touraine. Je lui envoie un mail le matin, ils sont ramassés l’après-midi et je les reçois le lendemain, prêts à servir le jour même. On ne peut plus frais.

Hormis le tri sélectif, nous essayons aussi de réduire le volume des ordures. J’ai banni les caisses en polystyrène pour le poisson, en faveur de caisses en plastique certes, mais réutilisables. Aussitôt déchargées au restaurant, elles sont réembarquées dans le camion. Il ne repart jamais à vide. Idem pour les légumes.
 

 


CS : Sur la carte du Chabichou 2023, il y a un plat intitulé « Les Zitones, un souvenir d’Antonin ». Comment se passe la transmission avec votre fils qui, à 24 ans, est votre second ?

SB : C’est tellement agréable de travailler avec son fils. Antonin est, pour ainsi dire, né au Chabichou. Il a connu M. Rochedy, qui était un peu son grand-père spirituel. Si je suis le chef d’orchestre, Antonin est aujourd’hui mon premier violon. Ma vision de la cuisine a changé grâce à lui. Antonin a travaillé trois ans chez Arnaud Donckele, à la Vague d’or (le restaurant 3 étoiles de l’hôtel Cheval Blanc, à Saint-Tropez, NDLR). Arnaud Donckele, lui aussi, propose une recette de Zitones, qu’il a jadis perfectionnée avec un autre chef, Jean-Louis Nomicos. Antonin en a conservé un « souvenir », mais revisite la recette avec du foie gras truffé, du topinambour fumé et un caramélisé de beaufort infusé dans du lait.
 

 


CS : Vous avez fait paraître, en 2021, un livre de 50 recettes. S’agit-il encore d’une histoire de transmission ?

SB : Parfaitement  ! Le partage fait partie intrinsèque de notre métier. Il s’agit de 50 produits que j’aime travailler. Il y a beaucoup de souvenirs familiaux. On retrouve le boudin blanc de Noël, mon premier souvenir de truffe — mon grand-père, charcutier à Valence, en mettait dans son boudin qu’il nous expédiait par la poste au moment des fêtes — ; la sole — un souvenir de mon concours de MOF, en 2000, que j’ai raté ! — ; la fondue — ma grand-mère, fromagère, récupérait les talons de fromage et en faisait une somptueuse — ; l’artichaut à la vinaigrette — de ma grand-mère encore, un souvenir des années 1970-80 — ; etc. Le « Cochon fermier cuisiné de la tête aux pieds » est aussi un souvenir de mon grand-père. Lorsque j’étais en vacances chez mes grands-parents, il m’emmenait parfois avec lui à la charcuterie. On partait à 5h du matin et je passais la matinée à regarder les ouvriers préparer saucisses de Strasbourg, boudins blancs ou noirs, jambons, rillettes, pâtés et autres terrines de campagne. D’où cette recette. L’idée est aussi de faire découvrir aux amateurs des morceaux qu’ils n’ont pas l’habitude de cuisiner.
 

 

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