Publié le 18/04/2023

Mauro Colagreco,
ses engagements au plus proche de la nature

L’excellence d’un chef ne se limite plus à sa technique ou sa créativité mais s’exprime aussi dans ses prises de position. Mauro Colagreco, vice-président chefs de Relais & Châteaux s’est engagé sur le chemin de la responsabilité environnementale, mobilisant son équipe et sa notoriété.

Mauro Colagreco,|ses engagements au plus proche de la nature

L’excellence d’un chef ne se limite plus à sa technique ou sa créativité mais s’exprime aussi dans ses prises de position. Mauro Colagreco, vice-président chefs de Relais & Châteaux s’est engagé sur le chemin de la responsabilité environnementale, mobilisant son équipe et sa notoriété.

C’est en s’approchant au plus près de son point d’ancrage, Menton, et de son restaurant Mirazur, que l’on prend la mesure du riche écosystème mis en place par le chef Mauro Colagreco pour répondre au défi qu’il s’est imposé : concilier haute gastronomie et écoresponsabilité. Son restaurant a d’ailleurs été le premier au monde à recevoir la certification Plastic Free.

En s’entourant d’une équipe constituée non seulement de cuisiniers, mais aussi de jardiniers œuvrant dans cinq potagers, d’un département de Recherches & Développement, d’une agronome et d’un ethnobotaniste, il met tout en œuvre afin de respecter des engagements environnementaux ambitieux, conscient du rôle exemplaire et inspirant qu’il a à jouer auprès du réseau Relais et Châteaux et plus largement, de tous ses confrères et admirateurs.

 

Quel est le déclencheur de votre engagement ?


Mauro Colagreco : Il ne s’agit pas, dans mon cas, d’un moment précis, mais d’une évolution. En arrivant à Menton en 2006, il y avait déjà un jardin au pied du restaurant, un peu à l'abandon, mais qui a réveillé des souvenirs très lointains du jardin de mon grand-père et qui m'a immédiatement donné envie de le cultiver.

C’est comme ça, en m’approchant de la terre, que j'ai commencé à en apprendre davantage sur ce sujet. J’ai compris que tout acte a un impact direct sur la nature. Par exemple, nous utilisions des granulés homologués pour une production biologique afin de contenir la propagation d’insectes ravageurs. Mais ces insectes servaient de nourriture aux oiseaux et nous étions donc en train de détruire cette biodiversité qui est la base de la richesse d'une terre fertile ! Tous ces apprentissages, la confrontation avec le terrain et les lectures, m'ont amené à me poser plein de questions sur la façon dont nous produisions les aliments. 



Comment s’est prise la décision de supprimer le plastique de votre restaurant ? 


MC : Cette décision est liée à un moment précis, lors d’un voyage à Tulum au Mexique, avec ma femme Julia et nos enfants. En traversant une réserve naturelle pour aller vers un village, nous sommes tombés sur une plage déserte, à perte de vue, couverte de détritus et remplie de plastique, d’objets que j'utilisais tous les jours à la maison et au restaurant. Face à l’interrogation de mes enfants me demandant ce qu’il s'était passé ici, je me suis senti incapable de leur répondre.

De retour au Mirazur, j’ai convoqué les équipes, en leur disant « Il faut qu'on trouve des solutions, on ne veut plus de ça ». C’était en décembre 2017 et nous avons obtenu la certification Plastic Free en janvier 2020, juste après avoir obtenu les trois étoiles au Guide Michelin et la place de numéro 1 au 50 Best. Entre le jour de l'annonce de la certification en janvier et le mois de février, 500 restaurants dans le monde nous ont contactés pour savoir comment ils pouvaient eux aussi obtenir la certification.


 

Beaucoup se disent aussi qu’ils ne disposent pas des moyens que vous avez pour y parvenir.


MC : Oui, c'est un vrai défi. J'ai pu mettre une personne à 50% de son temps de travail sur cette question, et ce, pendant trois ans. Quelque chose que tous les restaurants ne peuvent pas se permettre. Mais c’est grâce à cet investissement, qu’il est aujourd’hui beaucoup plus facile d'appliquer ces bonnes pratiques dans tout type de structure. Nous étions le premier restaurant à le faire et depuis, de nombreuses solutions que nous n’avions pas se sont développées.



Que reste-t-il à améliorer ?


MC : La gestion des plastiques que l’on reçoit via nos fournisseurs et le film plastique, qui reste toujours un sujet critique. Il existe des substituts, mais ils ne sont pas toujours adaptés. Mais ce qui compte au-delà du produit utilisé, ce sont les bonnes pratiques. Il y a tellement de fois où utiliser du film plastique n’a aucun sens : un petit bout de sauce, un demi-citron,… C'est une éducation constante à faire, qui est parfois lourde et chronophage, mais nous n’avons pas le choix. C'est la conscientisation d'une profession qu’il faut mettre en place, un travail qui aurait déjà dû être fait dans les écoles. 



N’y a-t-il pas aussi un problème de formation ? 


MC : L'agriculture devrait faire partie de la formation d'un cuisinier. Dans toutes mes conférences dans des écoles hôtelières, je commence par la même question : « Qui sait combien de temps il faut pour avoir un oignon de la graine jusqu'à l'assiette ? ». Personne ne sait. La perte de cette connexion entre l’agriculture et la cuisine est vraiment inquiétante. Il ne s’agit pas d’être nostalgique du passé, mais d'évaluer ce qui se faisait bien, ce qui s'est amélioré, ce qui a donné de bons résultats et de construire le futur avec intelligence.

Il y a une urgence à réagir et c’est là que sert notre notoriété. Quand on devient une personnalité publique, on a la capacité d'influencer, de passer des messages forts pour que peut-être un jour, les gouvernements, les politiciens, réfléchissent à des vraies solutions. 



Est-ce le rôle d'un chef aujourd'hui de s’engager ?


MC : Ça dépend de l'envie et de la vision du chef. Il peut se concentrer sur sa cuisine, réaliser des plats magnifiques et faire de son art, une expérience. Mais il peut aussi participer à des projets, contribuer au changement. La nourriture touche tout le monde, toutes les cultures. Et comme on cuisine beaucoup moins dans les maisons, les gens vont chercher au restaurant un peu de cette attention, de ce soin qu’on trouvait chez soi.  



Est-ce la raison de votre association avec la grande distribution pour une campagne sur la saisonnalité des produits ?


MC : En une ou deux générations les gens ont perdu la connaissance des cycles de la nature et des saisons. Peu de gens savent si la saison des tomates commence en mai, en juin, ou même en janvier ! Quand est arrivée la proposition de collaborer avec la grande distribution, nous nous sommes posés beaucoup de questions. Nous avons accepté mais en leur faisant prendre énormément d'engagements avant de signer et nous avons réussi à faire des choses magnifiques. Par exemple, le baromètre de saisonnalité qui, dans les rayons, indique les légumes de saison, mais encore plus important, ceux qui sont hors saison, et qui a eu un impact énorme. Ils ont joué le jeu, et ont notamment enlevé les fraises pendant les mois d'hiver. Si nous n’incluons pas la grande distribution et l'industrie dans ces réflexions et engagements pour une alimentation durable, nous n’arriverons pas à provoquer les changements dont on a vraiment besoin. 



Est-il parfois difficile de garder le cap ? 


MC : Nous cherchons constamment à nous améliorer. Cela nécessite de repenser l’intégralité du cycle des déchets, de réduire leur production, réfléchir à leur remplacement et réutilisation, puis d’anticiper leur recyclage et compostage. Autre mesure que j’ai mise en place depuis six mois, par des primes variables selon le degré d’engagement et de réussite, j’incite mes équipes à obtenir de meilleurs bilans environnementaux. Il faut montrer qu'ils y ont aussi un intérêt économique, et d’ailleurs tout le monde est très motivé. 

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